
L’affaire Bétharram, symbole d’un système de violences systémiques dans l’enseignement catholique français, éclate au grand jour en 2025 avec plus de 200 plaintes pour agressions sexuelles, viols et maltraitances sur des élèves entre 1957 et 2016.
Malgré la prescription de la majorité des faits, une commission d’enquête parlementaire et des contrôles renforcés tentent de lever l’omerta et d’identifier les défaillances de l’État et de l’Église.
Bétharram : un scandale pédocriminel sur six décennies
De l’internat catholique au « temple de la violence »
L’institution Notre-Dame de Bétharram, située près de Pau, était un établissement privé sous contrat accueillant des élèves en internat. Selon les témoignages recueillis, il s’agissait d’un « système organisé de prédation » où violences physiques, psychologiques et sexuelles se sont enchaînées pendant des décennies.
- 1957-2016 : Période couverte par les plaintes, avec un pic dans les années 1980-1990.
- Victimes : Principalement des garçons âgés de 9 à 15 ans, issus de familles catholiques traditionalistes.
- Auteurs présumés : Religieux de la congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur, surveillants laïcs, et élèves plus âgés.
Mon immersion dans les témoignages
En lisant les 200 plaintes, un motif revient : la nuit, moment où les agressions s’intensifiaient. « Les prêtres faisaient leur marché dans les dortoirs », raconte Alain Esquerre, porte-parole du collectif des victimes. Des récits décrivent des viols en réunion, des attouchements lors de « séances de discipline », et un bus scolaire transformé en zone de non-droit.
Les révélations chocs : l’ampleur d’un scandale étouffé
Mediapart et la presse régionale brisent l’omerta
En février 2025, Mediapart publie des archives montrant que des signalements avaient été ignorés dès 1993, alors que François Bayrou était ministre de l’Éducation. La presse locale révèle aussi que des cartons d’archives ont été « évacués à la hâte » avant une inspection.
Un exemple frappant : En 2000, un ancien élève porte plainte pour viol contre un surveillant. Le parquet de Pau classe l’affaire pour « infraction insuffisamment caractérisée ». Le même homme sera accusé dans 8 plaintes déposées en 2024.
Le rôle controversé de François Bayrou
Le Premier ministre, dont les enfants ont fréquenté Bétharram et dont l’épouse y a enseigné, est accusé par d’anciens gendarmes d’avoir étouffé des signalements dans les années 1990. Lors de son audition par la commission d’enquête parlementaire le 14 mai 2025, il maintient son innocence, mais admet des « dysfonctionnements de l’État ».
Anecdote révélatrice : En 1996, un article de La République des Pyrénées alertait déjà sur les violences à Bétharram. Aucun contrôle approfondi ne suivra.
Enquête parlementaire : les failles du contrôle de l’État
Commission d’enquête et « MeToo scolaire »
La commission, lancée en mars 2025, a auditionné 70 personnes, dont d’anciens ministres et responsables de l’enseignement catholique. Ses conclusions préliminaires pointent :
- Un défaut de coordination entre rectorats, police et justice.
- Des inspections académiques superficielles, souvent annoncées à l’avance.
- Une culture du silence dans les établissements religieux, où la « réputation » prime sur la protection des enfants.
Citation marquante : « Bétharram, c’est 80 % de ce qui m’a causé problème dans ma vie », confie Alexandre Perez, victime dans les années 1990.
L’enseignement catholique face à ses contradictions
Philippe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique, a reconnu devant les députés « des manquements graves » et promis des audits dans tous les internats. Pourtant, en avril 2025, le collectif des victimes découvre que l’établissement (rebaptisé Le Beau Rameau) n’a toujours pas mis en place de cellule d’écoute indépendante.
Obstacles juridiques : la bataille contre la prescription
200 plaintes… et seulement 2 instruites
Sur les 200 plaintes déposées, seules deux échappent à la prescription grâce à l’allongement des délais en 2022 (30 ans pour le viol, 20 ans pour les agressions sur mineurs de moins de 15 ans). Les autres butent sur des lois pénales obsolètes.
Exemple concret : Un viol commis en 1990 ne peut être poursuivi si la victime, majeure depuis 2003, n’a pas porté plainte avant 2013.
La mobilisation des victimes et l’appel à témoignages internationaux
Le collectif, dirigé par Alain Esquerre, a lancé en avril 2025 un appel en 15 langues pour recueillir des témoignages dans les pays où la congrégation de Bétharram est implantée (Argentine, Espagne, Italie). Objectif : contourner la prescription française via des poursuites à l’étranger.
Impact sociétal : vers un changement de paradigme ?
Le « MeToo scolaire » et ses limites
Elisabeth Borne parle d’un « mouvement de libération de la parole », comparable à #MeToo. Mais les victimes déplorent que seuls les établissements catholiques soient sous le feu des projecteurs, alors que le public est aussi concerné.
Donnée clé : Une enquête du ministère de l’Éducation révèle en 2024 que 14,5 % des femmes et 6,4 % des hommes ont subi des violences sexuelles durant leur scolarité.
Mesures promises vs réalité terrain
- Plan « Brisons le silence » : Création de référents « protection de l’enfance » dans chaque académie.
- Problème persistant : Seuls 12 % des signalements aboutissent à une condamnation, selon la Ciase.
Conclusion : Vérité, justice… et prévention
L’affaire Bétharram n’est pas qu’un scandale religieux ou politique. C’est le révélateur d’une faillite systémique où l’État, l’Église et la société ont fermé les yeux pendant des décennies.
Si les procès peinent à aboutir, la commission d’enquête et la médiatisation ont au moins permis une prise de conscience : aucun établissement ne doit plus être un sanctuaire pour prédateurs.