
En 2024, 31 % des retraités ont voté pour le Rassemblement National (RN) aux législatives, contre 12 % en 2022 – une progression historique qui en fait désormais le premier parti chez les plus de 65 ans.
Ce basculement, analysé par des politologues et des données Cluster17, s’explique par l’effritement du vote légitimiste, la montée des enjeux identitaires et une stratégie de normalisation du RN ciblant spécifiquement cette tranche d’âge.
Le grand retournement : comment le RN a séduit l’électorat « plafond de béton » ?
La fin du vote légitimiste chez les seniors
Longtemps acquis à la droite traditionnelle (LR) et au macronisme, les plus de 65 ans représentaient le dernier rempart contre l’extrême droite. En 2017, 45 % d’entre eux votaient encore Macron au second tour, contre 29 % pour Le Pen.
Mais en 2024, le RN devient leur premier choix, avec 31 % des voix contre 29 % pour Renaissance.
« Ils ne voyaient pas le RN comme un parti de gouvernement. Aujourd’hui, ils estiment qu’il est temps de donner sa chance à l’alternance », explique Stéphane Fournier, auteur d’une étude pour la Fondation Jean-Jaurès.
Les 5 moteurs du basculement identitaire
- Le conservatisme culturel
84 % des seniors soutiennent l’interdiction du voile à l’université (vs 30 % des jeunes). La peur du « grand remplacement » et la défense des valeurs traditionnelles deviennent des marqueurs forts. - La crise de représentation des partis traditionnels
L’effondrement des Républicains (–18 points depuis 2017) et le discrédit de Macron ont laissé un vide comblé par le RN. - L’insécurité économique perçue
44 % des retraités craignent pour leur pouvoir d’achat, selon l’INSEE. Le RN capitalise sur la défense des pensions et la critique de l’inflation. - La stratégie de normalisation du RN
« On mise sur les cravates, les permanences locales et le respect des institutions », confie Kévin Pfeffer, député RN en Moselle. - Le renouvellement générationnel
Les nouveaux retraités (60-70 ans), plus acquis à l’extrême droite que leurs aînés, font pencher la balance.
Une cartographie du vote senior : l’exemple de la Loire-Atlantique
Le cas emblématique de Nantes
Dans les quartiers de La Cholière et La Jaunaie-Profondine, une étude de Mickaël Blanchet (Gérontopôle des Pays de la Loire) montre que :
- 40 % des retraités votent RN (+28 points vs 2019).
- 35 % optent pour la droite traditionnelle.
- 25 % se dispersent entre gauche et abstention.
« C’est une revanche sociale. Ils veulent qu’on reconnaisse leur contribution passée », analyse le géographe.
Témoignage : Colette, 76 ans, ex-électrice LR devenue RN
« Avant, voter FN ? Impensable ! Mais aujourd’hui, quand je vois l’insécurité à Orvault et les priorités du gouvernement… Je veux qu’on protège nos retraites et notre identité. »
Le RN a-t-il gagné la bataille culturelle ?
La fin du « plafond de béton »
En 2024, Jordan Bardella obtient 29 % des voix chez les plus de 70 ans aux européennes, contre 19 % en 2019. Un bond de 10 points qui pulvérise les prédictions de Patrick Buisson, pour qui les seniors constituaient un « rempart infranchissable ».
Les 3 leviers de la conquête
- L’image rassurante de Bardella
Sa jeunesse et son langage policé rassurent les anciens, contrairement à l’héritage sulfureux des Le Pen. - L’ancrage territorial
Les députés RN multiplient les marchés, repas des anciens et permanences – +42 % de présence médiatique locale vs 2022. - Le discours pro-retraités. Le RN promet :
- Revalorisation des pensions.
- Suppression de la CSG pour les bas revenus.
- Contrôle accru de l’immigration.
Comparaison européenne : le « grey gap » à la française
Un phénomène unique en Europe
Si l’extrême droite progresse chez les seniors en Allemagne (+7 points) et Italie (+9), la France se distingue par :
- Un taux de conversion plus rapide (+19 points en 5 ans).
- Une porosité droite/RN inédite (28 % des ex-LR votent RN).
Risques et limites : jusqu’où ira la vague RN chez les seniors ?
Les freins persistants
- La peur du chaos économique : 61 % craignent une sortie de l’euro.
- La mémoire historique : 23 % des 80+ associent encore le RN à l’extrémisme.
- L’ancrage religieux : 38 % des seniors pratiquants résistent au RN.
L’analyse de Jérôme Fourquet (IFOP)
« Le RN a réussi son aggiornamento générationnel. Reste à convaincre sur les dossiers concrets – retraites, dépendance, santé – où sa crédibilité est encore faible. »
Conclusion : Un séisme électoral aux racines profondes
Le ralliement des seniors au RN n’est pas un accident de l’histoire, mais le fruit de 15 ans de mutation sociétale et d’un travail de sape idéologique. Comme le résume un retraité de Dunkerque : « Avant, voter Front National, c’était honteux. Aujourd’hui, c’est devenir majoritaire. » Reste à voir si cette conversion survivra à l’épreuve du pouvoir…
FAQ : Vos questions, nos réponses
« Les seniors RN sont-ils plus riches que la moyenne ? »
Non : 57 % ont des revenus sous les 2 000 €/mois. Le vote RN senior est avant tout un vote de défiance, pas de prospérité.
« Quel impact aura le vieillissement de la population ? »
Avec 20 M de +60 ans en 2030, le RN pourrait capter 35 % de cet électorat, selon les projections de l’INED.
« Macron peut-il reconquérir les seniors ? »
Oui, mais seulement en revalorisant les pensions et en durcissant sa ligne sur l’immigration, estime l’Institut Montaigne.